Charles Gave est essayiste, financier et entrepreneur, dirigeant fondateur de Gavekal, société de conseil financier, et président de l’Institut des Libertés. Cet économiste libéral est connu pour ses prises de position sans langue de bois. Nous évoquons avec lui l’actualité politique après le second tour des élections législatives.
Kernews : La crise de la dette va-t-elle nous rattraper plus rapidement en raison de l’absence de majorité ?
Charles Gave : Nous sommes dans une situation curieuse. Les gens qui représentent peu se retrouvent majoritaires grâce à des accords entre états-majors. C’est encore une fois une victoire de Paris sur la France. La France a su exprimer ce qu’elle voulait et elle se retrouve avec exactement le contraire à l’arrivée ! Cela semble indiquer que nos procédures démocratiques ne sont pas parfaitement efficaces… Il y a une espèce de prise de pouvoir par une classe politico-administrative tout à fait criminelle qui est prête à tout pour maintenir son pouvoir. On a bien vu cela avec des accords complètement hors nature. Cela nous laisse un pays qui est complètement ingouvernable. Un pays ingouvernable, ce n’est pas très grave lorsqu’il n’y a pas d’échéances pressantes, comme une guerre, puisque vous ne pouvez pas vous permettre de ne pas avoir de gouvernement lorsque vous êtes en guerre. Cela peut être aussi un problème financier. Or, nous avons le problème de la dette qui va arriver à toute allure, puisque nous avons une dette gigantesque détenue à 50 % par des étrangers. Je ne connais pas un homme d’affaires qui va augmenter ses investissements en France. Ils vont tous les couper.
Dans le meilleur des cas, ils vont patienter…
Ensuite, je ne connais pas un homme d’affaires qui va dire que c’est le moment d’ouvrir une usine en France, car on sait que les charges des entreprises vont augmenter et que la rentabilité du capital va s’effondrer. Donc, on va avoir un écroulement de l’investissement. C’est une évidence. Quand vous avez un écroulement de l’investissement, vous avez 100 % de risques d’avoir une récession, puisque l’investissement est la partie la plus dynamique de l’économie. Si vous avez une récession, le budget de la France va passer de 5 à 9 % du PIB. Où va-t-on trouver l’argent ? Il ne faut pas oublier que les gens qui détiennent la dette passée et dont la moitié sont à l’étranger – ce qui représente 1500 milliards pour ceux qui sont à l’étranger – vont forcément se demander ce qu’ils vont faire avec cette dette. Je ne connais pas un homme raisonnable qui va acheter des obligations françaises à 3 % aujourd’hui.
Nous sommes donc coincés dans une impasse…
Je dis simplement que les Français ont voté comme s’ils étaient un pays souverain qui avait sa propre Banque centrale. Or nous ne sommes rien de tout cela. Notre budget doit être accepté par Bruxelles et cela doit se faire fin septembre.
Doit-on s’attendre à une hausse des taxes et des impôts ?
C’est déjà ce que cherchent à faire tous nos braves qui vient d’être élus. Ils veulent taxer les riches. Ils ne comprennent pas que la richesse est un flux, et non pas un stock. On est dans un processus de création de richesses. Ce n’est pas l’image de l’oncle Picsou qui nage dans son tas d’or, puisque c’est à peu près la seule connaissance de l’économie qu’ils ont. Donc, le gars qui crée de la richesse, s’il en reste encore en France, va évidemment chercher à partir à l’étranger, où ses talents seront reconnus. J’essaie de vous expliquer que la seule solution pour l’État français, c’est d’aller chercher l’argent directement dans vos comptes à la banque.
Lorsque vous dites cela, on vous répond que cela ne va concerner que quelques grandes fortunes…
C’est se moquer de la gueule du monde ! D’abord, les grandes fortunes émanent souvent d’une cotation en bourse et, si cela continue ainsi, les grandes fortunes vont disparaître par écroulement des cotations en bourse. Si vous taxez les gens à 100 %, c’est de l’esclavage. Lorsque les juifs sont partis d’Égypte, dans la Bible, c’est parce que le taux d’imposition était à 100 %. Je me promène un peu dans le monde : vous allez à Hong Kong, il y a 20 000 Français, ce sont tous des entrepreneurs ; vous allez à Miami, il n’y a que des Français ; idem dans la Silicon Valley ou à Londres… Déjà, depuis des décennies, la France perd des bac plus 7 et l’on importe des bac moins 7 ! En fin de parcours, on va se retrouver avec un niveau de vie équivalent à celui de la Côte d’Ivoire.
Sans les forces vives, c’est la médiocrité qui s’entretient au jour le jour…
Un ami m’a dit récemment que la France, dans le meilleur des cas, ce sera l’Argentine et que dans le pire des cas, ce sera le Liban, avec une guerre civile en plus.
La situation semble inextricable…
Non, la situation n’est pas inextricable ! C’est la classe politique qui a décidé de refuser à tout prix l’outil qui existait dans la Constitution de la Vᵉ République, qui est celui du référendum. À partir du moment où vous avez des démocraties dites représentatives, les votes les plus importants sont ceux qui se passent aux extrêmes et, à ce moment-là, vous voyez surgir des gens qui prennent un pouvoir extraordinaire parce qu’ils contrôlent 3 ou 4 % des votes. Je me souviens encore de ce crétin de Jospin qui avait fermé le surgénérateur français pour faire plaisir aux écolos, qui représentaient 3 % des voix, mais qui étaient nécessaires à Lionel Jospin pour se faire élire président. La démocratie représentative amène automatiquement le déchirement du pays et un gouvernement par des extrêmes. La démocratie directe, c’est proposer une solution au peuple qui vote ensuite. La France n’est malade que de son système politique.
En France, la peur du Rassemblement national est si forte chez une majorité d’électeurs, que ces gens sont prêts à tout accepter tant que le RN n’est pas au pouvoir et la formule de « faire barrage » reste toujours très efficace. Il y a peu de pays dans le monde où il existe un épouvantail aussi influent…
La France est un pays qui est majoritairement à droite depuis toujours ! Et la seule façon d’empêcher la droite de gouverner, c’est d’en diaboliser une partie. Le parti au pouvoir, avec l’aide des médias, puisque 95 % des journalistes votent Mélenchon, veut entretenir une espèce de peur intellectuelle sur tous ceux qui ne pensent pas comme eux. La gauche a réussi depuis très longtemps, malgré tous les crimes qu’elle a commis, à faire croire aux gens que c’était elle qui devait déterminer ce qui était moral et ce qui ne l’était pas. Or, dans notre civilisation chrétienne, la morale collective ne peut pas exister. Il ne peut exister qu’une morale individuelle. Donc, une démocratie fonctionne seulement si chacun est convaincu qu’il a le droit d’exprimer ce qu’il pense. À partir du moment où l’on dit à quelqu’un que ce n’est plus un être humain, à partir du moment où ce qu’il pense n’est pas considéré comme correct, la plupart des gens se couchent, parce qu’ils veulent appartenir à la caste. Ces gens veulent être bien vus de leur concierge et ils votent donc ce qu’ils croient être dans le bon sens. Ce qui est extraordinaire, c’est que pour arriver à ce résultat, il faut avoir une alliance qui va maintenant des Républicains à Monsieur Mélenchon ! Finalement, nous avons été trahis une fois de plus par le parti des Républicains. Ils ont toujours trahi. Les LR, c’est le parti des traîtres.
Quels conseils donneriez-vous aux petits patrons et aux commerçants pour pouvoir survivre au cours des deux prochaines années ?
Je ne connais pas un chef d’entreprise qui veuille augmenter ses investissements en France ! Maintenant, chaque petit patron doit se rendre compte que la seule priorité, c’est de survivre. Il faut couper les coûts et avoir la structure la plus légère possible. Le temps des armées est fini, il faut se penser en commando. Concrètement, je ne pars avec rien. On me largue dans la forêt amazonienne et je dois me débrouiller pour vivre tant bien que mal. Donc, la priorité n’est plus de faire mieux que les autres, mais de dépendre le moins possible des banques. Les petites entreprises doivent devenir les plus anti fragiles possibles. C’est une façon de gérer qui n’est pas agréable, j’ai déjà fait cela dans ma vie, mais c’est la seule chose que l’on puisse recommander aujourd’hui. Il y a des matchs de rugby où l’on essaie de gagner et il y en a d’autres où l’on essaie de ne pas prendre trop de coups. Maintenant, il faut éviter les coups pour être capable de jouer le match suivant. Le but, ce n’est pas le match qui est en cours, mais d’être là au match suivant. Il faut créer un cash-flow excédentaire, c’est le seul objectif possible. Donc, pour cela, il faut renoncer à la croissance. Du moins pour l’instant.