Hubert Marty est ancien commissaire aux RG. Il s’apprête à publier un livre intitulé « Face à l’État profond », dans lequel il livre un témoignage sans concession sur de nombreuses affaires politiques non résolues : par exemple, Pierre Bérégovoy, Robert Boulin, la princesse Diana… Il dénonce un système qui n’hésite pas à tuer pour faire taire les plus gênants. Des rapports internes aux enquêtes avortées, chaque élément s’inscrit dans une stratégie de dissimulation.
Actuamedia : Vous avez été pendant dix ans aux Renseignements généraux, proche d’Yves Bertrand, mais aussi de François Mitterrand que vous avez fréquemment accompagné dans ses déplacements. Vous venez d’enquêter sur ce que l’on appelle l’État profond. Cette expression est connue aux États-Unis, mais très peu en France…
Hubert Marty : L’État profond est un concept de sociologie politique qui a été développé par un sociologue canadien, également diplomate, Peter Dale Scott, qui explique que c’est un conglomérat informel de hauts responsables. On retrouve des politiques, mais également des gens issus du monde de la justice, de l’armée, des banques, de la police et de la grande industrie. Ce conglomérat protéiforme se réunit, selon les époques, pour prendre des décisions politiques, financières et criminelles, afin que cela soit favorable à ses intérêts. L’État profond existe dans tous les États modernes. Aux États-Unis, l’État profond est pour moi à l’origine de l’assassinat de Kennedy en 1963, mais également des tentatives d’assassinat de Donald Trump plus récemment. On voit vraiment la main de l’État profond. Ce sont des actions hors normes, des tentatives d’attentats ou des crimes de masse, organisées de façon construite. Ce ne sont pas des actions isolées. Chaque fois que vous voyez une mort brutale et que l’on vous donne une explication toute faite, en vous indiquant qu’il est inutile de faire une enquête puisque la solution est évidente, vous devez avoir un clignotant qui s’allume.
L’État profond peut-il aussi exister dans des régimes autoritaires, notamment en Turquie, en Chine ou en Russie ?
Absolument. Par essence, l’État profond est antidémocratique et peu visible. Sa nature est d’être dans l’occulte. Dans les régimes autoritaires que vous citez, c’est même l’État profond qui est au cœur du réacteur. Par exemple, l’État profond a sans doute dû suggérer à Poutine que depuis les événements de Maïdan en Ukraine en 2014, il fallait passer à ce que l’on appelle l’opération spéciale. En Chine, il y a les événements de 1989, Place Tian’anmen, avec le soulèvement des étudiants, qui sont très intéressants. Face à cela, fallait-il agir d’une façon molle, modérée ou violente ? L’État profond a dicté la conduite à tenir en imposant une répression par la force. En général, l’État profond prend des décisions pour se maintenir au pouvoir ou pour une transition de pouvoir, mais il prend surtout des décisions pour permettre la perpétuation du pouvoir. C’est un système de survie. C’est comme le lézard qui perd sa queue, il va régénérer autre chose pour continuer de vivre.
On est tenté de vous rétorquer que votre vision est complotiste…
La vision complotiste est la seule qui soit réaliste. Ce sont des étiquettes qui visent à enlever toute faculté de recul et toute critique. L’objectif étant d’écarter toute vision contradictoire. En plus, on essaye de vous culpabiliser face à une version qui est répétée des milliers de fois. On essaye de vous empêcher de chercher et de faire vous-même votre propre investigation. Un complotiste va tenter de réfléchir, de chercher, de prendre du recul et de se faire lui-même sa propre idée. Dès qu’il y a un événement étonnant, il faut réfléchir et voir comment l’information mainstream est un rouleau compresseur qui écrase la vérité. L’État profond fonctionne parce qu’il a la main mise sur les grands médias.
L’illustration la plus symbolique n’est-elle pas l’affaire des prétendues armes chimiques de Saddam Hussein, puisque tous ceux qui pensaient que l’Irak n’en détenait pas étaient à l’époque traités de complotistes ?
En regardant les vraies sources d’information, il était facile de comprendre que cette histoire était complètement fausse. Déjà, il fallait réfléchir aux attentats du 11 septembre et à ce que l’on nous a raconté. Je demande souvent aux gens combien de tours se sont effondrées le 11 septembre. Si l’on se contente de regarder les informations, on va répondre deux tours. Ceux qui savent que le WTC7 s’est effondré vers 17h10 vont vous répondre trois tours. Mais ce n’est même pas la vérité, puisque ce sont sept tours qui se sont effondrées ! Les médias mainstream occultent souvent des éléments essentiels de l’information face à la vérité des événements.
Avant d’entrer aux Renseignements généraux, le policier que vous étiez avait-il conscience de cela ?
Je suis allé aux Renseignements généraux par choix. Je revendique l’idée d’être un intellectuel né. J’ai toujours lu des articles et des livres politiques dans ma jeunesse. Ensuite, j’ai fait Sciences Po, une licence en droit, une maîtrise en droit, et j’ai été admissible à l’ENA. Comme je n’ai pas eu les oraux de l’ENA, j’ai passé le concours de commissaire et je suis arrivé major de ma promotion. En sortant, je voulais être dans le renseignement et je me suis orienté vers cette direction. J’ai commencé au Havre. C’était passionnant. C’était au moment de la première cohabitation, nous étions au début de la mondialisation. J’ai connu Jean Lecanuet, Laurent Fabius, François Léotard… J’ai réussi une affaire antiterroriste, fin 1987, en arrêtant un groupe de néonazis. Grâce à nos arrestations, on a évité un bain de sang, car ces garçons préparaient une attaque dans un hypermarché. Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, est venu me féliciter et c’était le début de ma mise en lumière. Finalement, à la réélection de François Mitterrand, j’ai été choisi pour être le patron des RG dans le département de la Nièvre, celui de François Mitterrand.
Abordons maintenant les circonstances de la mort de Pierre Bérégovoy. Vous êtes de ceux qui estiment qu’il a été « suicidé », pour reprendre cette expression très actuelle…
Pour ma part, il a été éliminé, c’est très clair. Ce n’est pas une thèse, c’est le résultat d’une enquête. Je raconte d’abord les mauvaises relations que j’ai eues avec Pierre Bérégovoy, donc je suis bien placé pour essayer de le réhabiliter. C’était un homme un peu buté, obstiné, il avait ses têtes… Il était petit et il n’aimait pas les gens très grands. Il n’avait pas fait beaucoup d’études et il n’aimait pas les gens très diplômés. Quand il m’a vu arriver dans la Nièvre, cela ne lui a pas plu ! À la fin, il s’est aperçu qu’il était victime d’une véritable machination d’État qui a commencé après son discours du 8 avril 1992 à l’Assemblée nationale, quand il a dit que la priorité du gouvernement serait de s’attaquer à la corruption. Reprenez ce discours : il explique que si la justice traîne dans les enquêtes, il poussera pour que l’on aille au fond des dossiers et il produit même une liste de gens qui pourraient être inquiétés par ces enquêtes. À partir de là, toute la classe politique française a pris peur. Il est nommé Premier ministre. Je suis prié de quitter mon poste, mais je fais de la résistance et je décide de rester dans la Nièvre. À ce moment-là, des proches de François Mitterrand me contactent en m’expliquant qu’une opération se prépare pour déstabiliser Pierre Bérégovoy. C’était un an avant l’affaire du canal. Je ne pensais pas du tout qu’ils allaient finir par le tuer un soir de 1er mai. Le problème, c’est qu’il a été six ans au ministère des Finances, où il a pu recueillir énormément d’informations confidentielles sur les flux financiers. À cette époque, il y avait énormément de scandales financiers, comme les frégates de Taiwan, Elf, Pechiney, Urba ou le Crédit lyonnais. Pierre Bérégovoy avait avec lui de vraies bombes et il pouvait dynamiter la classe politique française. Il y a eu un consensus sur le thème : « Si l’on veut continuer à survivre et continuer nos magouilles – gauche, centre et droite – il faut absolument se débarrasser de lui. »
Vous avez aussi enquêté sur l’accident de la princesse Diana…
J’en parlerai dans un prochain livre et j’apporterai les preuves que ce n’était pas du tout un accident. Ce sont des preuves qui ne sont jamais sorties. Des chercheurs indépendants, souvent d’anciens magistrats et policiers, ont largement travaillé là-dessus.
Il y a toujours eu des morts et des suicides mystérieux. Maintenant, lorsque vous apprenez qu’Untel s’est pendu ou a fait une chute en montagne, comment réagissez-vous ?
D’abord, avec beaucoup de méfiance et de circonspection. J’essaye d’analyser les circonstances de l’événement. Pourquoi cet homme, qui grimpait sur les échelles de Notre-Dame, est-il tombé d’un ravin ? Pourquoi cet homme qui s’apprêtait à écrire un livre se retrouve-t-il avec un gros coup de déprime ? Pourquoi tel chercheur, spécialisé dans l’intelligence économique, se retrouve-t-il avec une balle dans la tête dans sa voiture ? Chaque fois, je découvre que ce sont des gens qui ont eu un certain courage et une certaine liberté de parole. Ils ont pris position sur des sujets nationaux, ils ont présenté des alternatives et, au lieu de les laisser organiser des débats, on les retrouve brutalement suicidés… Pour moi, c’est une dérive qui n’est pas propre à la France puisque l’on retrouve cela dans de nombreux pays. Quand on se demande qui la personne dérangeait, on trouve rapidement des réponses.
D’ailleurs, vous êtes tellement prudent que vous vous arrêtez à Jacques Chirac… Est-ce par peur ?
Non, je n’ai pas peur, c’est le premier tome. Les deux premières cohabitations sont des périodes très intéressantes. Par exemple, il y a eu la mort du ministre Charles Hernu. C’était un proche de François Mitterrand, plusieurs fois ministre de la Défense. Il a été sacrifié après le scandale du Rainbow Warrior. Il est mort bizarrement en 1990 d’une crise cardiaque au moment d’un meeting politique. J’ai des éléments précis et il aurait subi l’injection d’un produit dans le cou… Bref, il aurait été empoisonné. Cette histoire n’a jamais fait l’objet d’une enquête.
Est-ce lié aux rumeurs sur le fait qu’il aurait été un agent de l’Est, notamment proche du KGB ?
On a dit que c’était un agent des services secrets bulgares. Je n’ai pas creusé ce dossier. C’est possible, mais j’ai des doutes. Dans la vie politique française, si vous analysez les attaches des uns et des autres depuis un siècle, il y a de nombreux élus qui ont eu des attaches avec les services secrets américains ou russes, mais surtout américains, et qui, pour autant, n’ont pas mené des actions négatives à l’égard de leur pays. Il faut aussi s’interroger sur la mort de Georges Pompidou. C’était le premier successeur du général de Gaulle et il avait poursuivi la politique étrangère du général, c’est-à-dire un équilibre entre les États-Unis et l’Union soviétique. On permettait aux deux grands de discuter. Il ne faut pas oublier que nous avions abrité les négociations pour la paix au Vietnam. Je pense que Pompidou agaçait les Américains. Je me pose souvent cette question sur sa maladie, la maladie de Waldenström, qui touche à peu près vingt personnes par an en France : donc, la probabilité pour qu’elle touche le président de la République est quand même assez faible ! À partir de 1973, la CIA avait mis un focus sur Pompidou et elle se débrouillait même pour recueillir ses urines pour les analyser. Peut-être que certains attendaient sa fin ? Après la mort de Pompidou, on retrouve deux candidats atlantistes, Giscard d’Estaing, qui a toujours été pro-américain, et Mitterrand, qui était un atlantiste connu. Mitterrand s’était fréquemment opposé à de Gaulle dans sa politique d’indépendance nationale. Regardez les positions de François Mitterrand quand nous sommes sortis de l’OTAN !
Vous évoquez aussi la période Giscard…
D’abord, l’affaire de Broglie. C’est un vrai assassinat. Il a été tué trois semaines après la fondation du RPR par Jacques Chirac. Le prince de Broglie avait un dossier encombrant, celui du financement de la campagne de Giscard, et, quand on creuse, on s’aperçoit qu’il avait été financé par des banques espagnoles. Il avait décidé de faire passer ses dossiers à Chirac, qui devenait l’opposant numéro un. J’ai eu la chance de rencontrer Roland Dumas à plusieurs reprises, mais aussi Guy Simonnet, le policier qui a organisé l’assassinat du prince de Broglie. Il m’a raconté avoir rencontré en prison Jacques Mesrine qui lui avait dit avoir des complicités au sein de l’État. D’ailleurs, quand on regarde la façon dont Mesrine s’est évadé à plusieurs reprises, on comprend qu’il a forcément bénéficié de l’appui ou de la connivence de personnes au ministère de la Justice. Je m’interroge ensuite. Est-ce que Mesrine a participé à l’assassinat de Robert Boulin ? Sa mort est très certainement liée à celle de Jean de Broglie. Ensuite, il y a une autre mort mystérieuse, celle de Joseph Fontanet, ancien ministre de Georges Pompidou, qui aurait reçu des confidences sur la campagne de Giscard de la part du prince de Broglie. Ce sont vraiment des affaires d’État.
Enfin, avez-vous le sentiment que ces affaires de morts mystérieuses, organisées par l’État profond, se sont amplifiées ces dernières années ?
Oui. Il y a des listes qui circulent, avec souvent des lanceurs d’alerte, comme Claire Séverac, notamment sur les questions de conditions de vie, de pharmacie ou de médecine. L’État profond n’a pas forcément des objectifs politiques, puisqu’il s’attaque à tout ce qui dérange les lobbys puissants, à savoir l’armement, la santé, l’énergie et l’agroalimentaire. Tous ces lobbys mènent des actions énormes à Bruxelles pour encourager ou freiner des réglementations sanitaires ou chimiques. L’objectif est clairement d’éliminer tous ceux qui gênent les objectifs et la rentabilité des acteurs de l’État profond. Dès qu’il y a beaucoup d’argent en jeu, si l’on ne touche à rien, il n’y a pas de problème. Mais dès que l’on commence à mettre un grain de sable dans la machine, une alerte se fait. Et cela peut aller jusqu’à la mise hors circuit…









