Marc Sanchez, secrétaire général du SDI (syndicat des Indépendants et des TPE), réagit à la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon. Selon lui, « nos TPE, et plus globalement les entreprises de ce pays, naviguent toujours à vue sans aucune perspective d’amélioration du climat économique et social, bloquées dans leurs investissements et leurs recrutements. »
Actuamedia : On observe une hausse des faillites, notamment des petites entreprises. Quel est votre constat ?
Marc Sanchez : Nous sommes effectivement dans ce constat très alarmant et, si l’on regarde les chiffres, nous en sommes à plus de 32 000 procédures collectives sur les six premiers mois de l’année. L’année dernière était déjà noire et les tendances sont les mêmes. Les perspectives pour le deuxième semestre sont du même acabit, puisque l’on pourrait atteindre le cap fatidique des 70 000 procédures collectives en 2025. L’année 2024 a été une année noire et les chiffres seront supérieurs cette année. Il faut aussi rajouter le nombre global de radiations volontaires, c’est-à-dire le chef d’entreprise qui en a ras le bol et, selon Infogreffe, nous en sommes à 91 000. C’est une montée exponentielle qui démontre le découragement des entrepreneurs par rapport à de nombreuses problématiques, notamment le contexte d’instabilité politique que nous connaissons depuis l’année dernière.
Dans ce chiffre, il y a beaucoup de petites entreprises, mais il peut aussi inclure des sociétés avec une dizaine de salariés…
Les trois quarts des entreprises ont entre zéro et cinq salariés, ce sont les entreprises que nous représentons. On observe aussi une montée du chiffre des moyennes entreprises, c’est-à-dire de plus de cinquante salariés, voire parfois des ETI, avec plus de deux cents salariés.
Quelles sont les principales causes identifiées ?
C’est essentiellement le cumul des problématiques rencontrées par les entrepreneurs au cours de ces dernières années, notamment la crise de la Covid, la crise énergétique ou la crise en Ukraine. Maintenant, c’est l’instabilité politique, avec toutes les conséquences économiques qu’elle peut avoir sur nos activités, notamment à travers la dégradation de la dette publique et la remontée des taux. Tout cela a un impact sur l’économie de proximité. Nos entreprises sont essentiellement financées par des prêts bancaires et, quand les taux augmentent, il y a une certaine frilosité sur les recrutements et les investissements. Quand une entreprise ne recrute pas et n’investit pas, elle est condamnée à terme à arrêter son activité et c’est ce que nous observons depuis plus d’un an. On ne voit aucune perspective de la part du pouvoir politique. On ne sait pas à quelle sauce on va être mangé sur le plan de la fiscalité, on ne sait pas si les charges vont être augmentées, ou si les aides sur les bas salaires vont être supprimées. Quand cela change tous les trois mois, forcément, vous n’avez pas de cap et vous êtes dans l’inquiétude et le stress.
Prenons l’exemple des commerçants. Les politiques répondent systématiquement, comme pour se défausser, que c’est un peu de leur faute parce qu’ils ne sont pas assez numérisés…
Les politiques qui nous expliquent cela, notamment à travers le fameux dossier de la simplification administrative, sont très amusants. Cela montre à quel point ils ne connaissent pas nos activités et le monde de l’entreprise. Dire qu’il faut davantage numériser, en considérant que la numérisation va engendrer une baisse des charges, non seulement cela relève d’une idiotie extrême, mais en plus cela crée un mécontentement de plus en plus important chez les dirigeants de TPE. Au-delà du fait de se défausser, cela dénote une extrême méconnaissance de l’activité de nos entreprises de proximité et c’est très rageant.
On nous répète aussi qu’il faut gagner en productivité grâce à l’intelligence artificielle…
C’est vrai, ce sont des sujets et nous proposons au sein du SDI des formations sur l’IA et la numérisation. Ce sont des éléments qui permettent d’adapter l’activité d’un commerce aux demandes des consommateurs, mais ce n’est pas ce qui va permettre de recruter et d’investir dans du matériel. Les prélèvements obligatoires représentent à peu près 47 % de l’ensemble des revenus d’un chef d’entreprise et d’un salarié. Donc, quand on ne veut pas regarder la lune, on regarde le bout du doigt. Je qualifie ce type de propos d’assez irresponsables.
Lorsque l’on voyage, on constate, dans beaucoup de pays, que le commerce de proximité se porte assez bien et cohabite avec Internet…
Il faut se poser la question de la pression fiscale en France et dans le monde. C’est tout le problème. Le fait d’expliquer qu’il faut tout numériser en intégrant l’intelligence artificielle, en soi, c’est une réalité, c’est un facteur d’adaptation, mais ce n’est pas ce qui va régler le problème de la baisse du chiffre d’affaires et du niveau de rémunération du chef d’entreprise. Aujourd’hui, il y a des pertes de vocations et c’est ce qui pose réellement un problème. Dire qu’il va falloir tout numériser, c’est simplement inciter à utiliser un nouvel outil.
Sébastien Lecornu annonce de nouvelles méthodes. Que lui diriez-vous ? Existe-t-il des mesures, sans vider les caisses de l’État, qui permettraient de faciliter les choses ? Par exemple sur les normes ?
Les sujets de préoccupation de nos entrepreneurs sont les suivants. D’abord, il faut un cadre politique qui permette d’avoir une visibilité et des certitudes, pas à trois mois sur la fiscalité, pas des changements de positionnement idéologique pour taxer les chefs d’entreprise, mais un cadre politique et institutionnel qui définisse une certaine stabilité. C’est le premier élément. Cela ne coûte pas d’argent et cela permettrait de relancer les recrutements et les investissements dans les TPE. Ensuite, il y a la question de la pression fiscale. La simplification permet d’avoir un système de vases communicants. À partir du moment où vous simplifiez, à travers la suppression de normes, la vie des chefs d’entreprise, tout devient plus simple. Il faut savoir que 30 % du chiffre d’affaires de nos TPE est consacré aujourd’hui aux tâches administratives. À partir du moment où vous réduisez les contraintes administratives, vous avez un gain de productivité qui peut permettre de réduire la pression fiscale qui pèse sur les activités. C’est quelque chose qui est déjà envisagé par certains politiques. Le problème, c’est que l’on parle depuis quinze ans de la simplification administrative, mais on avance à pas de fourmi sur le sujet. Il y a une loi de simplification qui a été adoptée cette année, mais cela n’apporte absolument rien aux problématiques liées à nos entreprises. Après, vous avez la pression fiscale. On constate que nous sommes toujours avec un coup d’avance négatif. La seule réaction des politiques sur la question de la réduction de la dette, c’est augmenter les recettes. Mais ce n’est plus audible pour un commerçant ou un artisan. Un chef d’entreprise qui a un ou deux salariés gagne en moyenne moins d’un SMIC par mois en travaillant cinquante heures par semaine.
Le grand public ne sait pas que la plupart des chefs d’entreprise se situent dans la zone du SMIC…
Même beaucoup moins, car si l’on fait le prorata au nombre d’heures travaillées, il n’y a pas un salarié en France qui travaillerait pour cela. On doit alléger cette pression fiscale. Il y a des mesures de simplification pour générer de la productivité, mais il faut que les recettes de l’État baissent de manière importante. Cela nous permettra aussi d’être beaucoup plus concurrentiels à l’exportation, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Enfin, comment réagissez-vous à la décision de la Cour de cassation indiquant qu’un arrêt maladie intervenu pendant un congé payé reporte d’autant les droits à congés d’un salarié ?
Les périodes d’arrêt maladie pour cause non professionnelle donnent désormais droit à des congés payés. En deux ans, la Cour de cassation a profondément modifié la notion de « temps de travail effectif » et ses conséquences sur les rémunérations et droits à congés. Auparavant, logiquement rattaché à la notion de temps passé en entreprise, le contrat de travail devient en lui-même du temps de travail effectif et fait peser l’intégralité des responsabilités attachées sur l’employeur. L’évolution du droit social telle qu’elle résulte des récents arrêts de la Cour de cassation entre en parfaite contradiction avec les constats soulevés ces derniers mois sur le déficit de temps de travail, ainsi que sur l’augmentation anormale des arrêts maladie de courte et longue durée. La légitime protection due par les employeurs quant à la santé et à la sécurité de leurs salariés est aujourd’hui poussée à son paroxysme. L’employeur devient comptablement indéfiniment responsable de toutes les périodes d’activité et d’inactivité de ses salariés, quelle qu’en soit la cause. Ce niveau de responsabilité est beaucoup trop lourd pour les artisans, commerçants et dirigeants de TPE. Nous sommes face à un risque majeur de frein considérable à l’embauche parmi cette catégorie d’entreprises.









